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Lutte contre la vie chère : Diomaye attendu sur un terrain miné

Rédigé par leral.net le Lundi 1 Avril 2024 à 19:35 | | 0 commentaire(s)|

Au lendemain de son élection, le candidat Bassirou Diomaye Faye a promis « d’aller en guerre » contre la vie chère. Du côté des ménages et des commerçants, les attentes sont grandes, mais parfois contradictoires. À quelques jours de l’investiture du nouveau président, Le Soleil s’est rendu au marché Thiaroye pour prendre la température.  L’odeur âcre du […]

Au lendemain de son élection, le candidat Bassirou Diomaye Faye a promis « d’aller en guerre » contre la vie chère. Du côté des ménages et des commerçants, les attentes sont grandes, mais parfois contradictoires. À quelques jours de l’investiture du nouveau président, Le Soleil s’est rendu au marché Thiaroye pour prendre la température. 

L’odeur âcre du piment indispose tout passant, le forçant à coller le mouchoir aux narines. « C’est piquant », rigole l’un des commerçants, s’adressant à une cliente aux yeux rougis. Quelques secondes de souffrance avant d’avoir accès aux grands magasins et boutiques. Ce vendredi matin, le marché de Thiaroye baigne dans son cadre habituel. Les motocyclistes disputent la sinueuse voie aux potentiels clients, pendant que les dockers, têtes et épaules chargées, courent constamment à la recherche du gain. Cette ambiance est devenue banale pour le commerçant Gora Faye. À l’entrée de son lieu de commerce sont disposés plusieurs sacs de riz, de farine et d’aliments de bétail. Grossiste, il approvisionne plusieurs détaillants de la banlieue dakaroise. Avec près de 15 années d’expérience, il apprécie les aléas du marché en matière d’approvisionnement. « Depuis plusieurs années, surtout après la Covid-19, le marché fait de temps en temps face à des tensions récurentes concernant notamment le riz », constate-t-il. Il attend du nouveau régime la disponibilité des produits prioritaires avec des prix stables. « Nous commerçants souffrons parfois de la tension ou de l’indisponibilité pour certains produits, principalement l’oignon, le riz ou le sucre. Nous attendons du nouveau régime une sécurisation constante des stocks. Il faut également faire en sorte de moins dépendre du marché extérieur. Dépendre du marché extérieur nous expose à l’augmentation des prix. Donc, il faut régler ce problème. Les clients nous accusent de surenchérir les prix alors qu’ils ne comprennent pas que ça ne dépend nullement de nous », déplore Gora. Dans son magasin, Ousseynou Samb est assisté par trois jeunes. Avec moins de boulot, il est à l’aise sur une chaise devant un parterre de marchandises. Grossiste, il n’a que deux doléances. La première concerne la disponibilité du produit et un marché à l’abri de l’inflation. « Quand les produits sont rares, on nous accuse de rétention de stock. Quand ils sont chers, les gens nous pointent du doigt. J’invite donc le nouveau gouvernement à veiller au bon approvisionnement du marché afin que les produits soient accessibles », dit-il. Il plaide aussi pour l’accompagnement des commerçants en matière d’allégement fiscal. « Quand les taxes sont élevées, nous sommes obligés d’ajuster selon les charges », se justifie Ousseynou. Vêtu d’un boubou gris en harmonie avec son bonnet, Abdou Faye va dans le même sens. « Quand les commerçants importent leurs marchandises dans de bonnes conditions, ils n’ont pas besoin de surenchérir. Il faut veiller à ce qu’il y ait moins de tracasseries. Il faut une politique forte afin de stabiliser les prix », dit-il.

Contrôler les prix 

Entre commerçants et clients, c’est tout le temps des marchandages mais également des railleries. Fatou Sarr, un sachet à la main, sort d’une boutique de vente de condiments, le sourire aux lèvres. Derrière cette bonne humeur se cache une complainte. « Nous souffrons énormément de la hausse des prix. Entre le riz, l’oignon, le sucre, la pomme de terre, tout flambe du jour au lendemain. Donc nous demandons au nouveau Président de la République de veiller à la stabilité des prix. Car les ménages ont beaucoup de mal à gérer leurs revenus à cause de l’augmentation des prix des produits de première nécessité », réclame la dame enveloppée dans une robe bleue. Ce plaidoyer, Oumar Faye le fait sien. « Tout est cher à Dakar. Ce qui m’inquiète le plus c’est que les prix des produits explosent de façon inattendue. Je n’ai jamais pensé que le sac de riz brisé non parfumé allait monter jusqu’à 19 000 ou 20 000 FCfa. Donc, le seul soutien que Bassirou Diomaye Faye peut apporter aux Sénégalais, c’est de veiller à une baisse et à la stabilité des prix », dit-il. À côté des mesures de baisse, le père de famille pense qu’il faut aussi veiller à un bon système de contrôle. « Les populations, les ménages ne sentent pas l’effet des différentes baisses. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement doit veiller à ce que les commerçants soient fréquemment contrôlés. Sans cela, le problème va persister », regrette Oumar Faye, dans l’espoir d’un avenir meilleur.

Demba DIENG 

 

IDRISSA DIANDY, ÉCONOMISTE

« Ces leviers qui s’offrent au nouveau président…» 

Dans cette interview, l’économiste Idrissa Diandy analyse les facteurs qui favorisent la cherté du coût de la vie et les possibles solutions. À l’en croire, l’erreur à ne pas commettre pour le nouveau régime « porté par la légitimité populaire » est celle de chercher à renverser à tout prix et dans l’immédiat cette dynamique. Pour lui, il devrait plutôt travailler à chercher des solutions durables à ce fléau. 

Le nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a promis de réduire le coût de la vie. Sur quels leviers peut-il s’appuyer selon vous ? 

Il faudrait d’abord commencer par s’interroger sur les causes profondes de la cherté de la vie au Sénégal, ce qui fait de Dakar la ou l’une des villes les plus chères d’Afrique de l’Ouest, selon divers classements parus en 2022 et 2023.  En réalité, il y a un déphasage entre le niveau des prix et celui du revenu moyen. Les premiers ont augmenté rapidement, et on assiste à une dégradation du pouvoir d’achat du Sénégalais depuis plusieurs années. Les explications à ce phénomène sont à chercher dans l’extraversion du modèle économique sénégalais du fait que la plupart des produits de consommation courante sont importés. Les inégalités de revenus sont aussi une explication plausible à la cherté de la vie, telle qu’elle est perçue par les classes populaires : une classe de privilégiés et aussi d’expatriés, au pouvoir d’achat plutôt élevé, a engendré une inflation par la demande. La manifestation la plus visible est certainement l’inflation dans le secteur de l’immobilier où l’accès à la propriété est devenu de plus en plus difficile pour les classes moyennes et qu’en même temps les loyers sont devenus prohibitifs dans un pays ou le salaire moyen se situe autour de 100 000 Fcfa, selon l’Ansd. L’erreur à ne pas commettre pour le nouveau gouvernement porté par la légitimité populaire est celle de chercher à renverser à tout prix et dans l’immédiat cette dynamique : il devrait plutôt travailler à chercher des solutions durables à ce fléau. Certes, il est possible et même nécessaire de mener des actions conjoncturelles pour soulager les populations. Cela passe dans un premier temps par un maintien des subventions en ce qui concerne les produits et services de première nécessité comme le transport, l’électricité et un contrôle des prix de certaines denrées alimentaires telles que le pain, le riz, le sucre, ou encore l’oignon. À ce niveau, la politique fiscale peut être un levier, même si cela n’est pas tenable ni souhaitable pour une longue période. Enfin, il est possible d’agir directement sur les populations les plus défavorisées en menant une politique sociale active et en mettant en place des filets de protection sociale robustes à travers des programmes d’aide directe (transferts monétaires conditionnels, subventions ciblées…) destinés aux populations les plus vulnérables afin d’amortir momentanément le choc des fluctuations économiques défavorables sans grever excessivement le budget national grâce à une allocation optimale des ressources disponibles.

Quelles solutions sur le long terme ? 

Sur le long terme, la restauration du pouvoir d’achat doit se fonder en réalité sur des politiques structurelles, même si cela doit passer par une période transitoire qui peut être difficile pour les populations. Il s’agit de promouvoir le secteur agricole et l’amélioration de l’autosuffisance alimentaire : en renforçant la production locale, on peut limiter les importations de denrées alimentaires qui alourdissent souvent la balance commerciale et contribuent à l’inflation des prix. De plus, une meilleure organisation de la chaîne d’approvisionnement permettrait de diminuer les pertes post-récolte importantes que connaît actuellement le pays. Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer la concurrence et la régulation des marchés : promouvoir une saine concurrence entre opérateurs économiques par la mise en place d’une politique volontariste de lutte contre les monopoles et autres pratiques anticoncurrentielles est essentiel pour éviter des hausses injustifiées des prix. Enfin, il est nécessaire de développer une offre adéquate de logements sociaux accessibles aux ménages modestes. Ceci constitue un moyen efficace pour endiguer la spéculation immobilière et freiner la hausse continue des loyers.

Comment l’État doit utiliser le levier fiscal ? 

La fiscalité fait partie des instruments de la politique économique, au même titre que les dépenses publiques et la politique monétaire. Donc évidemment, on ne peut pas se passer de cet instrument dans une économie moderne, à plus forte raison dans un pays en développement comme le Sénégal. Toutefois, l’instrument fiscal devrait être utilisé de manière judicieuse. De même, les subventions constituent, pour un pays en développement, un moyen efficace de redistribution du pouvoir d’achat et de soutien à certains secteurs. Cependant, il est évidemment nécessaire de s’assurer d’une utilisation mesurée et judicieuse de ces instruments, et à l’abri de l’influence des lobbies et groupes de pression.

Comment réduire ou en finir avec la dépendance extérieure et ses aléas ? 

Pour un pays en développement, la lutte contre la dépendance doit être portée par des politiques publiques ambitieuses. Cela a été pourtant théorisé depuis le début des années 1950 par les économistes structuralistes tels que Raul Prebisch ou encore Samir Amin avec sa fameuse proposition de déconnexion, même si ces propositions ont pu paraître radicales. Ces idées ont été reprises et modernisées par des économistes contemporains d’Afrique comme Moustapha Kassé ou Kako Nubukpo. Pour cela, il faudrait mettre en place des politiques publiques incitatives. À ce titre, le gouvernement peut jouer un rôle clé en adoptant des politiques visant à encourager la production locale, à protéger les industries nationales et à soutenir la créativité. De telles politiques sont déjà connues et expérimentées avec succès dans certains pays en développement comme la Corée du Sud. Des mesures telles que des tarifs douaniers ciblés et des subventions à la production peuvent toutes contribuer à atteindre cet objectif. L’autre point majeur dans la quête de notre souveraineté économique se situe du côté de la demande : la révolution dans nos habitudes de consommation. Il est difficile, voire impossible, de se développer sans une forte dose de patriotisme économique qui consiste à privilégier les produits locaux. Et c’est cela la clé de l’indépendance, du développement et de l’émergence, le patriotisme à tout moment et en tout lieu : dans la manière de consommer, de produire, de gouverner, de gérer les affaires publiques, de négocier les contrats…

Propos recueillis par D. DIENG 

Baisse des prix : les réserves d’Alla Dieng de l’Unacois Yessal 

Pour le directeur exécutif de l’Unacois Yessal, Alla Dieng, il sera très difficile pour le nouveau gouvernement de vaincre la vie chère parce que la plupart des produits consommés par les Sénégalais sont importés. « Les prix sont dépendants du marché, du dollar et de l’environnement international. Ils sont hors de portée du circuit administratif interne. Nous souffrons également de facteurs endogènes, car notre État ne vit que d’impôts avec des taxes par rapport aux produits », a diagnostiqué Alla Dieng. À ses yeux, la subvention sur laquelle misait le gouvernement sortant ne peut pas perdurer. Ainsi, la solution, d’après lui, serait un soutien et collaboration accrue avec le secteur privé national. « Le nouveau gouvernement peut se baser sur ce qui a été fait pour peaufiner une stratégie. On souhaite une collaboration entre le secteur privé et l’exécutif pour satisfaire les besoins des populations. Le secteur privé étranger a été choyé et a bénéficié de beaucoup de marchés. C’est le moment d’accompagner et de renforcer notre secteur privé », plaide Alla Dieng. D. DIENG



Source : https://lesoleil.sn/lutte-contre-la-vie-chere-diom...